• LE SEXE DES MOTS.


    Byzance tomba aux mains des Turcs tout en discutant du sexe des anges.
    Le français achèvera de se décomposer dans l’illettrisme pendant que nous discuterons du sexe des mots.
    La querelle actuelle découle de ce fait très simple qu’il n’existe pas en français de genre neutre comme en possèdent le grec, le latin et l’allemand. D’où ce résultat que, chez nous, quantité de noms, de fonctions, métiers et titres, sémantiquement neutres, sont grammaticalement féminins ou masculins. Leur genre n’a rien à voir avec le sexe de la personne qu’ils concernent, laquelle peut être un homme.
    Homme, d’ailleurs, s’emploie tantôt en valeur neutre, quand il signifie l’espèce humaine, tantôt en valeur masculine quand il désigne le mâle. Confondre les deux relève d’une incompétence qui condamne à l’embrouillamini sur la féminisation du vocabulaire. Un humain de sexe masculin peut fort bien être une recrue,?une vedette, une canaille, une fripouille ou une andouille.
    De sexe féminin, il lui arrive d’être un mannequin, un tyran ou un génie. Le respect de la personne humaine est-il réservé aux femmes, et celui des droits de l’homme aux hommes??
    Absurde!
    Ces féminins et masculins sont purement grammaticaux, nullement sexuels.
    Certains mots sont précédés d’articles féminins ou masculins sans que ces genres impliquent que les qualités, charges ou talents correspondants appartiennent à un sexe plutôt qu’à l’autre. On dit: «Madame de Sévigné est un grand écrivain» et «Rémy de Goumont est une plume brillante». On dit le garde des Sceaux, même quand c’est une femme, et la sentinelle, qui est presque toujours un homme.
    Tous ces termes sont, je le répète, sémantiquement neutres. Accoler à un substantif un article d’un genre opposé au sien ne le fait pas changer de sexe. Ce n’est qu’une banale faute d’accord.
    Certains substantifs se féminisent tout naturellement: une pianiste, avocate, chanteuse, directrice, actrice, papesse, doctoresse. Mais une dame ministresse, proviseuse, médecine, gardienne des Sceaux, officière ou commandeuse de la Légion d’Honneur contrevient soit à la clarté, soit à l’esthétique, sans que remarquer cet inconvénient puisse être imputé à l’antiféminisme. Un ambassadeur est un ambassadeur, même quand c’est une femme. Il est aussi une excellence, même quand c’est un homme. L’usage est le maître suprême.
    Une langue bouge de par le mariage de la logique et du tâtonnement, qu’accompagne en sourdine une mélodie originale. Le tout est fruit de la lenteur des siècles, non de l’opportunisme des politiques. L’Etat n’a aucune légitimité pour décider du vocabulaire et de la grammaire. Il tombe en outre dans l’abus de pouvoir quand il utilise l’école publique pour imposer ses oukases langagiers à toute une jeunesse.
    J’ai entendu objecter: «Vaugelas, au XVIIe siècle, n’a-t-il pas édicté des normes dans ses remarques sur la langue française??». Certes. Mais Vaugelas n’était pas ministre. Ce n’était qu’un auteur, dont chacun était libre de suivre ou non les avis. Il n’avait pas les moyens d’imposer ses lubies aux enfants. Il n’était pas Richelieu, lequel n’a jamais tranché personnellement de questions de langues.
    Si notre gouvernement veut servir le français, il ferait mieux de veiller d’abord à ce qu’on l’enseigne en classe, ensuite à ce que l’audiovisuel public, placé sous sa coupe, n’accumule pas à longueur de soirées les faux sens, solécismes, impropriétés, barbarismes et cuirs qui, pénétrant dans le crâne des gosses, achèvent de rendre impossible la tâche des enseignants. La société française a progressé vers l’égalité des sexes dans tous les métiers, sauf le métier politique. Les coupables de cette honte croient s’amnistier (ils en ont l’habitude) en torturant la grammaire.
    Ils ont trouvé le sésame démagogique de cette opération magique: faire avancer le féminin faute d’avoir fait avancer les femmes.

    TEXTE  :    Jean Francois Revel 1998   -         Illustration :  Un belet

    Un belet


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  • Pas étonnant qu’un type comme Beuret soit pris au piège de cette sagesse accablée. Les premiers disciples de Péguy, ces fabuleux abonnés des Cahiers, devaient ressembler à Beuret, un peu voûtés, un peu myopes, ivres de candeur et de bonne volonté. Mais Beuret est un imbécile. Il y a les autres, ceux qui sont venus après, ceux qui mènent grand bruit en ces temps-ci. Des gens bien, des gens sérieux, des gens soignés, des roublards, des petits salauds, des gens moraux, des gens nationaux, tout ce qui est pour la Famille et pour le Travail et pour que les pauvres restent à leur place de pauvres, ceux qui sont pour les traditions, les situations et les décorations, dames en visite, jeunes gens qui se poussent, ceux qui sont arrivés, ceux qui arriveront, ceux qui disent que c’est la faute des maîtres d’école, ceux qui disent que c’est la faute des congés payés. Tout ça est pour Péguy. Ils ont mis Péguy avec eux. Ils le font marcher devant eux. Saint Péguy, priez pour nous. Il est commode, Péguy. Il leur fournit toutes les justifications, toutes les garanties. Il suffit de découper dans son œuvre les pages qu’il écrivait au nom de sa classe et qui se retournent contre elle. On serait bien bête de s’en priver. Ils se sont emparés de Péguy comme ils s’emparent des généraux en retraite pour les fourrer dans leurs conseils d’Administration. Ils en sont partisans, eux, de la mystique du travail. Et de la fierté artisane. Et de l’ouvrage bien faite. Ça les arrange, ce socialisme désamorcé. Ça s’accorde parfaitement avec leurs intérêts et leurs peurs. On serait rudement tranquilles si la joie de travailler suffisait comme salaire aux hommes du travail. Poinçonnez les tickets, rempaillez les chaises, déchargez les sacs, empilez les briques, sans réclamer, sans rouspéter, sans jamais vous croiser les bras, vous mettre en grève, sans dire non. Dans un esprit d’humilité chrétienne. Comme on faisait au XVe siècle qui est une si belle époque. Et laissez-vous écraser et abrutir et anéantir et vider par le travail. C’est Péguy qui vous le dit. Il s’y connaissait, Péguy, en honneur ouvrier, en conscience du métier. Ce n’était pas un bourgeois, Péguy, un monsieur. C’était un type comme vous, un type de chez vous, un homme du peuple, un socialiste. Alors, qu’est-ce que vous souhaitez de plus ?

     


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  • L’écriture sur le corps des femmes assassinées de Ciudad Juarez.

    - Rita Laura Segato -

     

    dans la très longue histoire du genre, si longue qu’elle se confond avec l’histoire de l’espèce, la production de la masculinité obéit à des processus différents de ceux de la production de la féminité. Dans une perspective transculturelle, des évidences montrent que la masculinité est un statut qui se gagne de manière conditionnelle – devant être reconfirmé avec une certaine régularité tout au long de la vie. Ce statut s’obtient par un processus d’admission ou de conquête. Il est surtout soumis au prélèvement d’un tribut à un tiers qui, de par sa position naturalisée dans cet ordre statutaire, est perçu comme concessionnaire du répertoire de gestes qui alimentent la virilité. Cet autre, dans l’acte même par lequel il ou elle attribue la masculinité, produit sa propre exclusion de la caste qu’il ou elle consacre. En d’autres termes, pour qu’un sujet acquière son statut masculin, tel un diplôme, tel un grade, il est nécessaire qu’un autre sujet ne l’ait pas mais le lui accorde au cours d’un processus persuasif ou contraignant qui peut être efficacement décrit comme processus de prélèvement. Dans des conditions sociopolitiques « normales » de l’ordre du statutaire, nous, les femmes, sommes les donneuses du tribut ; eux, les récepteurs et bénéficiaires. Et la structure qui lie les femmes et les hommes établit un ordre symbolique marqué par l’inégalité en vigueur qui organise toutes les autres scènes de la vie sociale régies par l’asymétrie d’une loi de statut.

     


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