• Beuret a une belle âme. Il croit au sens de la vie et à des choses comme ça. Il est maître d'école dans le Jura. Sa femme l'a plaqué pour un voyageur de commerce. Le sens de la vie, c'est d’être instituteur et cocu.

    Georges Hyvernaud / La peau et les os .


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    « L’événement qui remplit toutes les feuilles et toutes les cervelles, c’est la capture et la mort de l’anarchiste Bonnot, chef d’une bande qui terrifiait Paris et la province depuis des semaines : vols, cambriolages, assassinats. En remontant jusqu’à Ravachol, je peux dire que je n’ai rien vu de plus ignoble, de plus totalement immonde en fait de panique et d’effervescence bourgeoise.

    Le misérable s’était réfugié dans une bicoque, à Choisy-le-Roi. Une multitude armée a fait le siège de cette forteresse défendue par un seul homme qui s’est battu jusqu’à la fin, quoique blessé, et qu’on n’a pu réduire qu’avec une bombe de dynamite posée par un héros (!) qui a opéré en se couvrant d’une charrette à foin et cuirassé de matelas.
    Les journaux ne parlent que d’héroïsme. Tout le monde a été héroïque, excepté Bonnot. La population entière, au mépris des lois ou règlements de police, avait pris les armes et tiraillait en s’abritant. Quand on a pu arriver jusqu’à lui, Bonnot agonisant se défendait encore et il a fallu l’achever.

    Glorieuse victoire de dix mille contre un. Le pays est dans l’allégresse et plusieurs salauds seront décorés.

    Heureusement Dieu ne juge pas comme les hommes. Les bourgeois infâmes et tremblant pour leurs tripes qui ont pris part à la chasse, en amateurs, étaient pour la plupart, j’aime à le croire, de ces honorables propriétaires qui vivent et s’engraissent de l’abstinence ou de la famine des pauvres, chacun d’eux ayant à rendre compte, quand il crèvera, du désespoir ou de la mort d’un grand nombre d’indigents. Protégés par toutes les lois, leur infamie est sans aucun risque. Sans Dieu, comme Bonnot, ils ont l’hypocrisie et l’argent qui manquèrent à ce malheureux. J’avoue que toute ma sympathie est acquise au désespéré donnant sa vie pour leur faire peur et je pense que Dieu les jugera plus durement.

     


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  • -- A mon ami André R. :

    *Pour exaspérer les Imbéciles*

     

    Vous me demandez « quelques mots » sur la récente catastrophe. J'y consens d'autant plus volontiers que je souffre de ne pouvoir crier ce que je pense.

     

    J'espère, mon cher André, ne pas vous scandaliser en vous disant qu'à la lecture des premières nouvelles de cet événement épouvantable, j'ai eu la sensation nette et délicieuse, d'un poids immense dont on aurait délivré mon cœur. Le petit nombre des victimes, il est vrai, limitait ma joie.

     

    Enfin, me disais-je tout de même, enfin ! ENFIN ! voilà donc un commencement de justice.

     

    Ce mot de Bazar accolé à celui de CHARITE ! Le Nom terrible et brûlant de Dieu réduit à la condition de génitif de cet immonde vocable ! ! !

     

    Dans ce bazar donc, des enseignes empruntées à des caboulots, à des bordels, A la Truie qui file, par exemple ; des prêtres, des religieuses circulant dans ce pince-cul aristocratique et y traînant de pauvres êtres innocents !

     

    Et le Nonce du Pape venant bénir tout ça !

     

    Ah ! mon ami, quelle brochure à écrire ! L'incendiaire du Bazar de Charité.

     

    Tant que le Nonce du Pape n'avait pas donné sa bénédiction aux belles toilettes, les délicates et voluptueuses carcasses que couvraient ces belles toilettes ne pouvaient pas prendre la forme noire et horrible de leurs âmes. Jusqu'à ce moment, il n'y avait aucun danger.

     

    Mais la bénédiction, la Bénédiction, indiciblement sacrilège de celui qui représentait le Vicaire de Jésus-Christ et par conséquent Jésus-Christ lui-même, a été où elle va toujours, c'est-à-dire au FEU, qui est l'habitacle rugissant et vagabond de l'Esprit-Saint.

     

    Alors, immédiatement, le Feu a été déchaîné, et TOUT EST RENTRE DANS L'ORDRE.

     

    Te autem faciente eleemosynam, nesciat sinistra tua quid faciat dextera tua : Ut sit eleemosyna tua IN ABSCONDITO (Matth., VI, 3 et 4). (1)

     

    -Vous vous êtes joliment fichue de cette Parole, n'est-ce pas ? belle Madame, et vous avez voulu exactement le contraire. Eh ! bien, voilà. Il y avait justement un pauvre qui avait très-faim, à qui nul ne donnait et qui était le plus affamé des pauvres. Ce pauvre c'était le Feu. Mais Notre-Seigneur Jésus-Christ en a eu pitié, il lui a envoyé sa bénédiction par le domestique de son Vicaire et, alors vous lui avez fait l'aumône somptueuse et tout à fait manifeste de vos savoureuses entrailles. Pour ce qui est de votre « droite » et de votre «gauche », soyez tranquille. La Parole s'accomplira au point que même vos larbins superbes et damasquinés ne parviendront pas à les distinguer l'une de l'autre et qu'il faudra attendre pour cela jusqu'à la Résurrection des Morts.

     

    _Cum facis eleemosynam, noli tuba canere ante te, sicut hypocritæ faciunt in synagogis, et in vicis, ut honorificentur ab hominibus. Amen dico vobis, receperunt mercedem suam_ (Matth., VI, 2). (2)

     

    -- Elle n'est pas non plus pour toi cette Parole, n'est-ce pas, marquise ? Tout le monde sait que l'Evangile fut écrit pour la canaille, et tu aurais joliment reçu Celui qui aurait osé te conseiller de vendre _in abscondito_ tes « trompettes » et tes falbalas pour le soulagement des malheureux ! Mais, tout de même, tu recevras « ta récompense » et, demain matin, ô vicomtesse, on vous ramassera à la pelle, avec vos bijoux et votre or fondus, dans les immondices. Ce qu'il y a d'affolant, de détraquant, de désespérant, ce n'est pas la catastrophe elle-même, qui est en réalité peu de chose auprès de la catastrophe arménienne, par exemple, dont nul, parmi ce beau monde, ne songeait à s'affliger. Non, c'est le spectacle véritablement monstrueux de l'hypocrisie universelle. C'est de voir tout ce qui tient une plume mentir effrontément aux autres et à soi-même. Enfin, et surtout, c'est le mépris immense et tranquille de tous à peu près sans exception, pour ce que Dieu dit et ce que Dieu fait.

     

    Le caractère spécial et les circonstances de cet événement, sa promptitude foudroyante, presque inconcevable, qui a rendu impossible tout secours et dont il y a peu d'exemples depuis de Feu du Ciel, l'aspect uniforme des cadavres sur qui le Symbole de la Charité s'est acharné avec une sorte de rage divine, comme s'il s'agissait de venger une prévarication sans nom, tout cela pourtant était assez clair.

     

    Tout cela avait la marque bien indéniable d'un châtiment et d'autant plus que des innocents étaient frappés avec des coupables, ce qui est l'empreinte biblique des Cinq Doigts de la Main Divine.

     

    Cette pensée si naturelle : Dieu frappe, donc il frappe avec justice, ne s'est présentée à l'esprit de personne, ou, si elle s'est présentée, elle a été écartée immédiatement avec horreur. Ah ! s'il s'était agi d'une population de mineurs, gens aux mains sales, on aurait peut-être vu plus clair, les yeux étant beaucoup moins remplis de larmes. Mais, des duchesses ou des banquières qui « s'étaient réunies pour faire le bien », comme l'a positivement dit le généreux gaga François Coppée, songez donc, chère Madame !

     

    De son autorité plénière, le journal La Croix a canonisé les victimes. Rappelant Jeanne d'Arc (!!!) dont c'était à peu près l'anniversaire, l'excellent eunuque des antichambres désirables, le P. Bailly, a parlé de ce « bûcher où les lys de la pureté ont été mêlés aux roses de la charité »

     

    J'imagine que les chastes lys et les tendres roses auraient bien voulu pouvoir ficher le camp, fût-ce au prix de n'importe quel genre de prostitution ou de cruauté, et je me suis laissé dire que les plus vigoureuses d'entre ces fleurs ne dédaignèrent pas d'assommer les plus faibles qui faisaient obstacle à leur fuite.

     

    « Chacun pour soi, Madame ! » Ce mot a été entendu. C'était peut-être la _Truie qui filait_.

     

    Pour revenir à La Croix, ne vous semble-t-il pas, André, que ce genre de blasphème, cette sentimentalité démoniaque appelle une nouvelle catastrophe, comme certaines substances attirent la foudre ? On ne fait pas joujou avec les formes saintes, et c'est à faire peur de galvauder ainsi le nom de Charité, qui est le Nom même de la Troisième Personne Divine.

     

    Voilà, cher ami, tout ce que je peux vous dire de cet incendie. Je vous remercie de m'avoir donné ainsi l'occasion de me dégonfler un peu. J'en avais besoin.

     

    Attendez-vous, d'ailleurs, et préparez-vous à de bien autres catastrophes auprès desquelles celle du Bazar infâme semblera bénigne. La fin du siècle est proche, et je sais que le monde est menacé comme jamais il ne le fut. Je dois vous l'avoir déjà dit, puisque je le dis à qui veut l'entendre ; mais, en ce moment, je vous le dis avec plus de force et vous prie de vous en souvenir.

     

    Erit enim tunc tribulatio magna, qualis non fuit ab initio mundi usque modo, neque fiet Orate_(Matth., XXIV, 21). (3)

     

    Je vous embrasse en attendant.

     

     

     

     

     

    (1) : Mais lorsque vous ferez l’aumône, que votre main gauche ne sache point ce que fait votre main droite, afin que votre aumône soit dans le secret.

     

    (2) Lors donc que vous donnerez l’aumône, ne faites point sonner la trompette devant vous, comme font les hypocrites dans les synagogues et dans les rues pour être honorés des hommes.

     

    (3) Car l’affliction de ce temps-là sera si grande, qu’il n’y en a point eu de pareille depuis le commencement du monde, et qu’il n’y en aura jamais. »

     


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    Citoyens,

     

    On vous trompe. On vous dit que la dernière Chambre composée d'imbéciles et de filous, ne représentait pas la majorité des électeurs. C'est faux.

     

    Une chambre composée de députés jocrisses et de députés truqueurs représente, au contraire, à merveille les électeurs que vous êtes. Ne protestez pas: une nation a les délégués qu'elle mérite.

     

    Pourquoi les avez-vous nommés ?

     

    Vous ne vous gênez pas, entre vous, pour convenir que plus ça change, et plus c'est la même chose, que vos élus se moquent de vous et ne songent qu'à leurs intérêts, à la gloriole ou à l'argent.

     

    Pourquoi les renommez-vous demain'?

     

    Vous savez très bien que tout un lot de ceux que vous enverrez siéger vendront leurs voix contre un chèque et feront le commerce des emplois, fonctions et bureaux de tabac.

     

    Mais pour qui les bureaux de tabac, les places, les sinécures si ce n'est pour les Comités d'électeurs que l'on paye ainsi ?

     

    Les entraîneurs des Comités sont moins naïfs que le troupeau.

     

    La Chambre représente l'ensemble.

     

    Il faut des sots et des roublards, il faut un parlement de ganaches et de Robert Macaire pour personnifier à la fois tous les votards professionnels et les prolétaires déprimés.

     

    Et ça, c'est vous !

     

    On vous trompe, bons électeurs, on vous berne, on vous flagorne quand on vous dit que vous êtes beaux, que vous êtes la justice, le droit, la souveraineté nationale, le peuple-roi, des hommes libres. On cueille vos votes et c'est tout. Vous n'êtes que des fruits… des Poires.

     

    On vous trompe encore. On vous dit que la France est toujours la France. Ce n'est pas vrai.

     

    La France perd, de jour en jour, toute signification dans le monde , toute signification libérale. Ce n'est plus le peuple hardi, coureur de risques, semeur d'idées, briseur de culte. C'est une Marianne agenouillée devant le trône des autocrates. C'est le caporalisme renaissant plus hypocrite qu'en Allemagne : une tonsure sous le képi.

     

    On vous trompe, on vous trompe sans cesse. On vous parle de fraternité, et jamais la lutte pour le pain ne fut plus âpre et meurtrière.

     

    On vous parle de patriotisme, de patrimoine sacré à vous qui ne possédez rien.

     

    On vous parle de probité; et ce sont des écumeurs de presse, des journalistes à tout faire, maîtres fourbes ou maîtres chanteurs, qui chantent l'honneur national.

     

    Les tenants de la République, les petits bourgeois, les petits seigneurs sont plus durs aux gueux que les maîtres de régimes anciens. On vit sous l'oeil des contremaîtres.

     

    Les ouvriers aveulis, les producteurs qui ne consomment pas, se contentent de ronger patiemment l'os sans moelle qu'on leur a jeté, l'os du suffrage universel. Et c'est pour des boniments, des discussions électorales qu'ils remuent encore la mâchoire, la mâchoire qui ne sait plus mordre.

     

    Quand parfois des enfants du peuple secouent leur torpeur, ils se trouvent, comme à Fourmies, en face de notre vaillante armée... Et le raisonnement des lebels leur met du plomb dans lit tête.

     

    La Justice est égale pour tous. Les honorables chéquards du Panama roulent carrosse et ne connaissent pas le cabriolet. Mais les menottes serrent les poignets des vieux ouvriers que l'on arrête comme vagabonds !

     

    L'ignominie de l'heure présente est telle qu'aucun candidat n'ose défendre cette Société. Les politiciens bourgeoisants, réactionnaires ou ralliés, masques ou faux-nez, républicains, vous crient qu'en votant pour eux ça marchera mieux, ça marchera bien. Ceux qui vous ont déjà tout pris vous demandent encore quelque chose :

     

    Donnez vos voix, Citoyens !

     

    Les mendigots, les candidats, les tirelaines, les soutire-voix ont tous un moyen spécial de faire et refaire le Bien public.

     

    Ecoutez les braves ouvriers, les médicastres du parti: ils veulent conquérir les pouvoirs... afin de les mieux supprimer.

     

    D'autres invoquent la Révolution, et ceux-là se trompent en vous trompant. Ce ne seront jamais les électeurs qui feront la Révolution. Le suffrage universel est créé précisément pour empêcher l'action virile. Charlot s'amuse à voter…

     

    Et puis quand même quelque incident jetterait des hommes dans la rue, quand bien même, par un coup de force, une minorité ferait acte, qu'attendre ensuite et qu'espérer de la foule que nous voyons grouiller : la foule lâche et sans pensée.

     

    Allez ! allez, gens de la foule ! Allez, électeurs ! aux urnes… Et ne vous plaignez plus. C'est assez. N'essayez pas d'apitoyer sur le sort que vous vous êtes fait. N'insultez pas, après coup, les Maîtres que vous vous donnez.

     

    Ces Maîtres vous valent, s'ils vous volent. Ils valent sans doute davantage : ils valent vingt-cinq francs par jour, sans compter les petits profits. Et c'est très bien:

     

    L'Electeur n'est qu'un Candidat raté.

     

    Au peuple du bas de laine, petite épargne, petite espérance, petits commerçants rapaces, lourd populo domestique, il faut un Parlement médiocre qui monnaie et qui synthétise toute la vilenie nationale.

     

    Votez, électeurs ! Votez ! Les parlements émanent de vous. Une chose est parce quelle doit être, parce qu'elle ne peut pas être autrement. Faites la Chambre à votre image. Le chien retourne à son vomissement — retournez à vos députés…

     

    Zo D'Axa
     1898


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