• DES LIVRES INUTILES

    Je préside la danse des fous,
    car de nombreux livres m'entourent que je ne saurais lire ni comprendre

    Que je sois assis dans la Nef tout à l'avant
    a une signification toute particulière
    " C'est que je me réfère toujours aux livres. " J'ai pour eux un très grand respect, même si je n'y comprends un piètre mot. Je les vénère et les bichonne,
    je leur chasse les mouches avec soins. Grâce aux livres, quand on parle sciences, je peux dire

    " A la maison je les possède toutes. "

    Car, il suffit à mon esprit d'être entouré de livres.
    On raconte de Ptolémée,
    qu'il possédait les livres du monde entier
    et qu'il considérait cela comme le plus grand trésor.
    Pourtant, certains d'entre eux
    ne faisaient que remplir les rayons. Il n'en tirait aucune sagesse.
    Comme lui, j'ai beaucoup de livres,
    mais ne les lis que très rarement.
    Dois-je me casser la tête à étudier et à apprendre ?
    Celui qui pense de trop devient un fantasque ! Moi, je suis un bourgeois,
    je peux payer quelqu'un qui apprend à ma place.
    Mon esprit est un peu lourd,
    mais, quand je suis parmi les savants, je sais dire : " Ite ! - ah oui ! "
    Je me flatte d'appartenir à l'Ordre Allemand.
    Même en ne sachant que très peu de latin,
    Je sais que « vinum » veut dire ; vin,
    « gucklus » :un cocu, « stultus » : un sot,
    Et qu’on m’appelle  Domine Doctor !
    Mes oreilles sont bien cachées
    Si non on reconnaîtrait vite
    La bête du meunier !

    - Sebastien Brant - Die Narrenschiff - ( Des livres inutiles )


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  • Quoi? Non, ce n’est pas vrai, je n’ai rien à me reprocher. Enfin je veux dire… je ne crois pas que j’ai fait quelque chose de grave.
    Ma vie? Une vie normale. Je n’ai rien volé, même pas à la maison quand j’étais petit, je n’ai tué personne, voyons!… Quelques actes impurs mais c’est normal non?
    Je travaille, j’ai une famille, je paie mes impôts. je ne crois pas avoir des fautes… je ne vais même pas à la chasse!
    Quoi? Ah, vous parlez d’avant! Ah… mais avant… mais avant je me suis comporté comme tout le monde.
    Comment je m’habillais? Je m’habillais, je m’habillais comme maintenant… ben pas vraiment comme maintenant, un peu plus… oui, jeans, pull-over, parka. Pourquoi? C’est pas bien? C’était pratique.
    Qu’est-ce que je chantais? Ah ben ça, vous voulez savoir ce que je chantais. Mais oui bien sûr, aussi des chansons populaires, oui… « Ciao bella ciao ». Je dois parler plus fort? Oui, « Ciao bella ciao » je l’ai chantée, d’accord, et aussi l’ « Internationale », mais en chœur, hein!
    Oui, ça oui, je l’admets, oui, j’y suis allé, oui, je suis allé les voir moi aussi les Inti Illimani… mais je n’ai pas pleuré!
    Comment? Si j’ai des photos dans ma chambre? Ben voyons, bein sûr, les photos de mes parents, ma femme, ma…
    Des affiches? Je ne crois pas… Peut-être une, mais petite… Che Ghevara. Mais c’est quoi, un procès?
    Non, non, non, moi ça non, moi le poing je ne l’ai jamais montré, le poing non, jamais. Ben en somme, une fois mais… un petit poing, mais vraiment rapide…
    Comment? Si j’étais communiste? Eh. J’aime bien les questions directes! Vous voulez savoir si j’étais communiste? Non, non enfin parce que maintenant plus personne n’en parle, tout le monde fait semblant de rien et pourtant vous avez raison il faut mettre certaines choses au clair, une bonne fois pour toutes. Ohhh!
    Si j’étais communiste. Mais! Dans quel sens? Enfin, je veux dire…
    Certains étaient communistes parce qu’ils étaient en Émilie.
    Certains étaient communistes parce que le grand-père, l’oncle, le père… la mère non.
    Certains étaient communistes parce qu’il voyait la Russie comme une promesse, la Chine comme une poésie, le communisme comme le Paradis Terrestre.
    Certains étaient communistes parce qu’ils se sentaient seuls.
    Certains étaient communistes parce qu’ils avaient eu une éducation trop catholique.
    Certains étaient communistes parce que le cinéma l’exigeait, le théâtre l’exigeait, la peinture l’exigeait, la littérature aussi… le monde entier l’exigeait.
    Certains étaient communistes parce que “L’Histoire est de notre côté!”.
    Certains étaient communistes parce qu’on leur avait dit.
    Certains étaient communistes parce qu’on ne leur avait pas tout dit.
    Certains étaient communistes parce qu’avant ils étaient fascistes.
    Certains étaient communistes parce qu’ils avaient compris que la Russie avançait doucement mais sûrement.
    Certains étaient communistes parce que Berlinguer était quelqu’un de bien.
    Certains étaient communistes parce qu’Andreotti n’était pas quelqu’un de bien.
    Certains étaient communistes parce qu’ils étaient riches mais qu’ils aimaient le peuple.
    Certains étaient communistes parce qu’ils buvaient du vin et qu’ils étaient émus pendant les fêtes populaires.
    Certains étaient communistes parce qu’ils étaient tellement athées qu’ils avaient besoin d’un autre Dieu.
    Certains étaient communistes parce qu’ils étaient tellement fascinés par les ouvriers qu’ils voulaient être l’un d’eux.
    Certains étaient communistes parce qu’ils n’en pouvaient plus d’être des ouvriers.
    Certains étaient communistes parce qu’ils voulaient l’augmentation des salaires.
    Certains étaient communistes parce que la bourgeoisie le prolétariat la lutte des classes, merde!
    Certains étaient communistes parce que la révolution aujourd’hui non, demain peut-être, mais après-demain sûrement…
    Certains étaient communistes parce que “Vive Marx, vive Lénine, vive Mao Tse Toung”.
    Certains étaient communistes pour faire enrager leur père.
    Certains étaient communistes parce qu’ils regardaient toujours la Rai tre.
    Certains étaient communistes par ce que c’était la mode, certains par principe, certains par frustration.
    Certains étaient communistes parce qu’ils voulaient tout étatiser.
    Certains étaient communistes parce qu’ils ne connaissaient pas les fonctionnaires, les assimilés fonctionnaires, et les employés du secteur parapublic.
    Certains étaient communistes parce qu’ils avaient échangé le « matérialisme dialectique » avec l’ « Évangile selon Lénine ».
    Certains étaient communistes parce qu’ils étaient convaincus d’avoir derrière eux la classe ouvrière.
    Certains étaient communistes parce qu’ils étaient plus communistes que les autres.
    Certains étaient communistes parce qu’il y avait le grand Parti Communiste.
    Certains étaient communistes malgré le grand Parti Communiste.
    Certains étaient communistes parce qu’il n’y avait rien de mieux.
    Certains étaient communistes parce que nous avons eu le pire Parti Socialiste d’Europe.
    Certains étaient communistes parce que l’État pire que nous seulement l’Ouganda.
    Certains étaient communistes parce qu’ils n’en pouvaient plus de quarante années de gouvernements démocrates-chrétiens incapables et mafieux.
    Certains étaient communistes parce que piazza Fontana, Brescia, la gare de Bologne, l’Italicus, Ustica, etc. etc. etc.
    Certains étaient communistes parce que ceux qui étaient contre étaient communistes.
    Certains étaient communistes parce qu’ils ne supportaient plus cette chose sale que nous nous obstinons à appeler démocratie.
    Certains croyaient être communistes et que peut-être ils étaient quelque chose d’autre.
    Certains étaient communistes parce qu’ils rêvaient d’une liberté différente de celle américaine.
    Certains étaient communistes parce qu’ils pensaient pouvoir être vivants et heureux seulement si les autres l’étaient aussi.
    Certains étaient communistes parce qu’ils avaient besoin d’être poussés vers quelque chose de nouveau, parce qu’ils étaient prêts à changer chaque jour, parce qu’ils sentaient la nécessité d’une morale différente, parce que c’était peut-être seulement une force, un vol, un rêve, c’était seulement un élan, un désir de changer les choses, de changer la vie.
    Certains étaient communistes parce que à côté de cet élan chacun était comme plus que lui-même, il était comme deux personnes en une. D’un côté le labeur quotidien personnel et de l’autre le sentiment d’appartenir à une race qui voulait prendre son vol pour changer vraiment la vie.
    Non, aucun regret. Peut-être aussi qu’alors beaucoup avaient ouvert leurs ailes sans être capables de voler, comme des mouettes hypothétiques.
    Et maintenant? Maintenant aussi on se sent comme deux personnes: d’un côté l’homme intégré qui traverse avec respect la misère de sa survie quotidienne et de l’autre la mouette, qui n’a même plus l’intention de voler, parce que le rêve s’est désormais rabougri, on se sent comme deux misères dans un seul corps.

     


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    L’AMERIQUE

     

    Nous autres, ce sont les Américains qui nous ont tout appris ! S’il n’y avait pas eu les Américains, à l’heure qu’il est, nous autres nous serions… Européens. Vieux, lourds, toujours pensifs, avec les costumes gris et les taxis encore peints en noir.

     

    Il n’existe pas de peuple qui ait autant d’idées nouvelles que les Américains. Et généreux avec ça ! Et bon ! Et juste ! Il n’y a pas de peuple plus juste que les Américains ! Même s’ils se trouvent contraints à faire la guerre – toujours pour des raisons de force majeure – ils ne la font jamais parce que c’est dans leur intérêt… Nooon !!! C’est parce qu’il existe encore des endroits où il n’y a ni justice, ni liberté. Et eux, les voilà ! Ils te les apportent ! Ce sont des « porteurs sains » de démocratie. Dans le sens où à eux ça ne leur fait rien, mais à toi ils te la refilent… L’Amérique est un ARSENAL de démocratie. Et ce qui m’a toujours frappé chez les Américains , c’est ce grand désir, cet immense besoin de répandre, d’exporter leur mode de vie, leur culture… euh… non ! pas la culture… les innovations… les modes… Voilà ! ce sont des « porteurs sains » de choses nouvelles (toujours dans le sens où à eux ça ne leur fait rien, mais à toi…)

     

    A la fin de la seconde guerre mondiale, ils sont arrivés ici et ils ont amené : les jeeps, les conserves, les jeans, la culture… euh… non ! pas la culture… les pas de danse, l’allégresse, le progrès, la culture… euh… non ! pas la culture… le Coca-Cola, le bien-être, la technologie, le développement ! Et tout d’un coup, l’Europe, la chère et vieille Europe, avec ses réverbères faiblards, ses traditions, ses fleuves, ses violons, ses valses… Et voilà les lumières et les néons et le beat et les couleurs et puis les ponts et les autoroutes et la télévision et les gratte-ciels et les avions… et le chewing-gum !

     

    Il n’y a pas de peuple plus stupide que les Américains !

     

    La culture ne les a jamais atteints ! Dé-li-bé-ré-ment ! Eh oui, parce qu’ils ont raison de se méfier de notre culture, vieille, complexe : de Vinci, Shakespeare, Voltaire, Hegel, Schopenhauer … Mais bien sûr ! Plus de simplicité ! Plus d’instantanéité ! Ils ont toujours créé ainsi… comme… aller aux chiottes !

     

    A WHA BA BE LULA BE LA BIN BOUM ! TUTTI FRUTTI…

     

    L’Amérique est un pays de jeunes gens. Les Américains sont les seuls au monde qui, à Disneyland, ne se sentent pas un seul instant crétins ! Attention ! Moi je ne rien contre l’Amérique… Et même… ça me plaît… Moi, je suis contre les américanisés du monde entier. L’Amérique, on le sait, ça a été une erreur de navigation. On ne voulait même pas y aller. On est tombé dedans. Voilà ce que c’est l’Amérique : c’est une glissade, c’est un Trou, un énorme Trou… SVROUM ! Dommage qu’ils ne soient pas tous tombés dedans dès le départ…

     

    A l’origine, il y avait aussi le vent d’Est, qui, comme on dit, nous poussait dans cette direction. Ah si ! l’Union Soviétique… avec ses promesses…son sens de l’égalité, de la justice… l’Internationale socialiste… sa culture… euh… non ! la culture, là non plus… Et l’Italie, avec ses premiers néons, oscillait… oscillait… C’est mieux par ci… Non, c’est mieux par là… Qui soutenait l’une. Qui soutenait l’autre. En somme, on se disputait. On se débattait entre deux cultures…

     

    MAIS QUELLES CULTURES !? ENTRE DEUX BULLDOGS !

     

    Et puis un beau jour, sans préavis, sans même que nous le dise un colonel de l’aviation, le vent d’Est cessa de souffler. Et à partir de là, SVROUM ! Tous dans le Trou. On n’était plus différents. On n’oscillait plus. On ne débattait plus. Plus rien ! Entre un qui est dans le Trou et puis l’autre on ne reconnaît plus personne ! Ceux de droite, malheur, deviennent sans cesse plus démocrates. Ceux de gauche toujours plus libéraux et SVROUM ! Ceux du centre… Non… Ceux du centre il n’y a rien à dire… Eux, ils ont toujours été dans le Trou. Mais les autres… Je ne m’attendais pas à ça d’eux ! Et à présent ils disent tous : « Mais quel joli Trou ! Il n’y a rien de plus démocratique que le Trou ! Moi j’aime le Trou de Reagan ! Moi je préfère celui de Clinton ! » Eh oui… parce qu’il y a Trou et Trou !

     

    VIVE LE TROU !

     

    Le Trou est l’inéluctable destin de l’Humanité. C’est le développement incontrôlé du primitif. C’est l’impitoyable loi du plus fort en tant que moyen de sélection naturelle de l’espèce. C’est l’héroïque sacrifice de la conscience et de la justice sociale. C’est la victoire totale du Marché. C’est le triomphe de la vision unique du monde. Le Trou, c’est l’Amérique ! Et c’est nous aussi… Libres… Libéraux… Libre-échangistes. Nous sommes pour la Révolution libérale mais avec la solidarité. Nous sommes libre-échangistes et pour le Libéralisme. Nous sommes libéroïdes, libertaires, libertins, licencieux…

     

    A moi, l’Amérique ne me dit rien. Trop de liberté ! Il n’y a rien qui écrase autant l’individu que cette liberté. Même une maladie ne te dévore pas autant l’intérieur. Comme ils sont géniaux les Américains. Ils te l’amènent à domicile. La Liberté est à la portée de chacun. Comme la guitare. Chacun joue comme il veut. Et tous jouent comme le veut La Liberté…

     

    Giorgio Gaber

     

     

    Giorgio Gaber -(25 Janvier 1939 <--> 1 Janvier 2003)-                          - L' Amerique -

     

     

     


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